Depuis que Edouard Manet a peint Le déjeuner sur l'herbe en 1863, des dizaines d’artistes s’interrogent : de l’érotisme exacerbé de Picasso au militantisme de l’afro-américaine Mickalene Thomas en passant par la mise en garde écologique de Daniel Spoerri, tous nous disent que les parties de campagne ne sont plus ce qu’elles étaient.
Un naufrage survenu en 1816, Théodore Géricault, un jeune peintre talentueux qui s’en indigne… et c'est l'histoire de l'art qui s'en retrouve transformée ! De la dénonciation des dérives du capitalisme par la Coopérative des Malassis à l’indignation de Kader Attia face aux naufrages des migrants en mer Méditerranée, Le radeau de La Méduse embarque avec lui tous les combats.
En 1960, Yves Klein se fait photographier sautant du deuxième étage d’un immeuble. Mais a-t-il vraiment sauté ? Pour le découvrir, Tehching Hsieh ira jusqu’à se briser les chevilles et Philippe Ramette apprendra à voler. Suspendu entre la chute et l’émancipation, Le saut dans le vide de Klein inspire.
En 1917, Marcel Duchamp, invité à exposer à New York "ce qu’il veut" choisit… une pissotière. C'est tellement génial que ça en devient obsédant. Le groupe de la Figuration Narrative essaie de s’en débarrasser, en vain. Shi Xinning présente la pissotière à Mao et Sabine Gross en livre une version fossilisée pour nous dire : au commencement, il y avait Marcel Duchamp. Et depuis ?
Quoi de plus universel que La Cène de Léonard de Vinci ? Et bien celle de Mary Beth Edelson, où l’humanité est féminine. Ou bien celle d’Elisabeth Ohlson Wallin où les apôtres sont queers. Ou encore celle de Raoef Mamedov, où les treize compères sont tous porteurs de trisomie 21. La Cène, tout compte fait, c’est juste l’image que nous voulons donner de nous-mêmes.
Piet Mondrian est l'un des inventeurs de l’abstraction. Pour lui, ses compositions savantes permettent d’ordonner le chaos du monde. Tous vont essayer de le faire dévier de sa route : l’artiste pop Tom Wesselmann en décore sa cuisine, Yves Saint Laurent en fait une robe, Sylvie Fleury le traduit en peluche. Mais rien n’y fait, Mondrian, incorruptible, reste toujours Mondrian.
Comment faire rentrer vingt-cinq femmes nues et langoureuses dans un médaillon ? Et surtout, pour quoi faire ? De Man Ray à Jananne Al-Ani, de Patrick Raynaud à Lalla Essaydi, Le bain turc de Jean-Auguste-Dominique Ingres fait réfléchir les hommes sur la mise en scène de leur désir, et les femmes sur l’érotisation dont elles sont l'objet.
Derrière les icônes gays de Pierre et Gilles, derrière le manifeste politique de Mohammed Ali ou l’art féministe de Louise Bourgeois… il y a un seul et même jeune homme : le Saint Sébastien de Guido Réni. Est-ce sa résistance aux flèches qui fait de lui, depuis près de quatre siècles, le visage langoureux de tous nos combats ?
Cela fait des siècles que l’on se perd en conjectures sur la toile de Vélasquez. Du coup chacun va y chercher ce qu’il veut, Giulio Paolini le mystère, Philippe Comar, l’espace, Equipo Crónica le mythe et Yasumasa Morimura le miroir. Inépuisables, Les Ménines !
Une pipe qui n’est pas une pipe, mais la représentation d’une pipe, et Magritte ouvre avec humour la voie à toutes les interprétations. Pour Présence Panchounette, ceci n’est pas non plus une fellation ; pour Marina Fabre et Valentine Dervaux, c’est une gourde qui n’est pas une femme ; et chez Nancy Fouts, les pipes ont fait des petits. Décidément, une pipe peut en cacher une autre !
Entre l’homme d’aujourd’hui et celui du paléolithique, lequel des deux est le plus primitif ? De Joan Miró à Tacita Dean en passant par Mario Merz ou Banksy, les artistes contemporains tentent de répondre à cette question quand ils s’inspirent de la grotte de Lascaux. Et la réponse n’est pas toujours flatteuse pour notre époque…
Ce "tube" de l’art japonais, censé célébrer l’harmonie de la nature, s’est infiltré dans nos vies pour mieux nous submerger. De Claude Monet à Tadashi Kawamata, de Jean-Michel Othoniel à Hergé, La Grande vague de Kanagawa s’est faite menaçante. Agitant le spectre de la fin du monde, elle vient nous rappeler que nous sommes peu de choses.
Rodin voyait le baiser comme un mélange de romantisme et d’érotisme. Mais au XXe siècle, il ne reste guère que Brancusi pour le suivre sur le terrain sentimental. Le baiser devient mortel chez Munch, ouvertement sexuel chez Picasso et morbide chez Witkin. Quant à Delvoye, on vous laisse découvrir...
Même Eugène Delacroix a été débordé par la force de son œuvre. Depuis, elle incarne toutes les rébellions : Mai 68 pour Gérard Fromanger, l’opposition chinoise pour Yue Minjun, les "gilets jaunes" pour PBoy ou l’anticapitalisme pour Gérard Rancinan.
Un bordel, des masques africains, le désordre des corps… : il n’en fallait pas plus à Picasso pour créer une œuvre iconique. Aux artistes ensuite de se positionner. Lee Krasner intensifie le jeu de massacre, Robert Colescott conteste les emprunts africains et Patrick Caulfield acte l’émancipation des "demoiselles", qui, lassées des regards concupiscents, nous tournent le dos.
En détournant des objets de leur usage habituel, Arcimboldo a fait souffler un vent ludique sur l’histoire de l’art. Du peintre milanais, Dalí a retenu l’illusion d’optique, tandis qu’on retrouve son surréalisme chez Jan Svankmajer, son goût de l’assemblage chez Freya Jobbins et son humour chez le couple de plasticiens Tim Noble et Sue Webster.
La mort de Marat ? Une question de point de vue. David, lui, ne songeait qu’à la victime. Puis, au XIXe siècle, c’est Charlotte Corday qui s’impose. Au XXe, Munch et Hrdlicka ne voient qu’un couple en furie, bientôt remplacé par une femme dans une baignoire ou Ben Laden… Décidément, rien n’est plus facile à manipuler qu’une image.
Le bœuf écorché de Rembrandt assène deux vérités désagréables : la mort est au bout du chemin et la violence nous fascine. Les artistes contemporains dans cette lignée vont plus loin. Réalisme cru chez Vanda Spengler, amas de viande chez Anish Kapoor ou litres d’hémoglobine chez Hermann Nitsch. Sommes-nous si repus d’images gore qu’il faille surenchérir pour nous toucher ?
De l’avis général, on la préfère sans bras ni tête. Ce qu’on retient surtout de La victoire de Samothrace, ce sont ses ailes. La chorégraphe Loïe Fuller et le plasticien Yves Klein célèbrent son élan, tandis que les artistes Raphaël Denis et Céline Robbe y voient un symbole de défaite. Alors qu’on s’éloignait de l’idée de victoire, Beyoncé y revient au cours d’un clip triomphal…
"On va tous mourir !", nous rappellent cruellement les vanités. Sur cette vérité nue, les artistes ont brodé une infinité de variations. Mort aseptisée pour Jean-Pierre Raynaud, gore et grouillante de vers pour les frères Chapman ou crânement clinquante pour Damien Hirst. Le sujet est inépuisable.
